Interview d’Andrew McAfee

Parue dans LES ECHOS/LE CERCLE, le 28/08/2019

Andrew McAfee

Andrew McAfee

Chercheur au MIT, dont il a fondé le département de recherche sur l’économie numérique avec Erik Brynjolfsson. Ensemble, ils ont publié plusieurs ouvrages sur l’impact des nouvelles technologies, dont « Le Deuxième Age de la machine » (Odile Jacob, 2015).
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/il-faut-arreter-de-former-les-travailleurs-comme-il-y-a-quatre-vingts-ans-1126982

 

Beaucoup d’études ont alerté sur le fait que l’intelligence artificielle (IA) et l’automatisation risquaient de détruire des emplois de façon massive. Mais on constate exactement l’inverse aux Etats-Unis, avec un taux de chômage qui n’a jamais été aussi bas. Comment l’expliquez-vous ?

Le schéma que nous observons est en fait le même que par le passé : des technologies puissantes apparaissent, elles permettent d’automatiser certains emplois, mais elles créent également d’autres emplois. Jusqu’ici, l’IA et les technologies numériques constituent un nouveau chapitre de la même histoire. La croissance de l’emploi a été remarquablement forte ces dernières années aux Etats-Unis, donc il est encore impossible de parler d’une crise de l’emploi. Comme le dit très bien l’économiste Robert J. Gordon, « nous n’avons pas de problème de quantité des emplois, mais nous avons un problème de qualité des emplois ».

Quels sont les emplois les plus menacés ?

La classe moyenne américaine, comme celle de la plupart des pays industrialisés, y compris la France, s’est construite sur du travail répétitif – que ce soit le travail physique d’un ouvrier sur une chaîne de montage ou le travail intellectuel d’un comptable chargé de la paie. Les emplois de ce type ont disparu. Pas complètement, bien sûr, mais ils sont dans le rétroviseur. Et ils ne reviendront pas en masse. C’est inquiétant, car une classe moyenne massive et confiante dans l’avenir est importante pour la stabilité de la démocratie : quand ses membres pensent que le contrat pour lequel ils ont signé n’est plus respecté, alors ils deviennent réceptifs aux discours démagogues, populistes et autoritaires, et toutes sortes de leaders inquiétants peuvent arriver au pouvoir en leur disant : « Si le contrat n’est pas respecté, c’est la faute des Chinois, des Mexicains, des immigrés… »

Dans « Le deuxième âge de la machine », vous et Erik Brynjolfsson expliquez que ces technologies peuvent être synonymes, en même temps, de croissance, voire d’abondance, mais aussi d’inégalités…

La technologie permet de créer plus de richesse, mais il n’y a pas de loi économique qui assure que la richesse sera redistribuée comme elle l’a été au cours des dernières décennies. Donc l’abondance est là, nous voyons beaucoup d’effets incroyablement positifs des technologies, mais rien ne garantit que la croissance sera équitablement partagée.

Une idée de plus en plus répandue est qu’il faudra former les travailleurs, car les compétences des machines vont progresser. Mais sait-on déjà à quoi les former ?

Il faut avant tout arrêter de former les étudiants et les actifs à l’économie telle qu’elle était il y a quatre-vingts ans ! Après la Seconde Guerre mondiale, nous avions besoin de beaucoup de gens formés à des tâches répétitives.
Nous n’en avons plus besoin, parce que ces tâches s’automatisent très bien ! Mais nous savons aussi quelles seront les compétences nécessaires. Il s’agit avant tout des compétences scientifiques – si vous comprenez la science et l’informatique, vous vous en sortirez.
Si vous êtes quelqu’un de créatif, capable de trouver de nouvelles idées qui plaisent aux gens, si vous êtes un entrepreneur par nature, vous vous en sortirez bien aussi. Et si vous avez des compétences sociales avancées – si vous êtes bon pour négocier, motiver, coordonner, persuader les autres -, tout montre que le futur du travail vous conviendra.

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