Pour l’AFDEC, coauteur de « Capital Humain mode d’emploi pour les PMI », les femmes et les hommes constituent la ressource essentielle qui permet à l’entreprise de garantir sa pérennité, sa capacité à innover et ses performances. Il est donc important qu’elles s’approprient (ou se réapproprient) totalement le management des compétences.
La compétence ne s’acquiert pas elle se développe
La compétence est une notion compliquée d’autant qu’en français, c’est ce seul mot qui est employé pour qualifier des états bien différents. On forme dans les écoles, sur des référentiels de compétences… et pourtant, les entreprises constatent que les jeunes n’ont pas les compétences attendues… Quand un salarié quitte l’entreprise, on voudrait parler de transférabilité de ses compétences et, pourtant le premier regard que le recruteur jettera sur lui sera une interrogation sur l’incompétence qui a bien pu lui faire quitter son précédent emploi…
Chacun doit comprendre que la compétence est constituée, évidemment, des savoir, savoir-faire et des comportements de l’individu qu’il va combiner dans une situation de production mais surtout qu’elle ne se développe que dans un cadre qui se compose d’une part du contexte socio-économique, de l’organisation de l’entreprise et de son style managérial et d’autre part de l’appétence pour le poste, des motivations personnelles et des expériences antécédentes.
Le développement des compétences est donc un parcours complexe qui n’existe que dans les situations professionnalisantes qui vont en permettre l’expression. De ce fait, il faut aussi accepter qu’un individu qui quitte une entreprise ne soit plus compétent (il n’y a donc pas transférabilité) mais que, par contre il a augmenté ses ressources par de nouvelles connaissances, par des expériences (bonnes ou mauvaises). Il dispose donc d’un potentiel au regard d’un nouveau poste dans lequel il faudra qu’il reconstruise sa compétence en fonction des éléments du cadre cités précédemment.
C’est la raison pour laquelle, il était urgent de développer l’apprentissage et de permettre à tous d’intégrer le milieu professionnel en parallèle des études pour favoriser les premières expériences. Mais cela ne suffit pas à garantir la compétence puisqu’il faut en permanence l’accompagner et accepter qu’il faille organiser un relais entre les entreprises pour permettre son épanouissement.
L’ouvrage « Capital Humain » date du début des années 2000, et si son thème est toujours d’actualité, il est intéressant de se requestionner sur ce qui a changé dans les dernières années et en particulier sur l’impact de la COVID dans le modèle de management des compétences pour le futur.
Une évolution des comportements et des attentes
Les nouveaux entrants sur le marché du travail n’ont pas les mêmes aspirations ni les mêmes besoins que ceux qui prédominaient encore dans les années quatre-vingt-dix. L’explication est un peu caricaturale, mais a simplement pour objet de marquer les grands traits du changement (qui, d’ailleurs, ne sont pas forcément identiques dans les autres pays, même si nous avons une tendance mondiale).
On relève un certain paradoxe puisqu’on trouve côte à côte un renforcement égocentrique du « Ma vie – Mon bien-être » qui aujourd’hui est une priorité par rapport aux exigences du travail et de l’autre côté une attitude plus altruiste de « Mon engagement sociétal » qui recouvre des comportements de vie très variés comme les changements de modes de consommation ou l’adhésion à des mouvements de revendications plus ou moins ponctuels.
Des attitudes qui se sont probablement forgées en partie en résonance avec l’utilisation du numérique. D’ailleurs, la crise sanitaire a renforcé ces traits en offrant une opportunité plus rapide que prévu de mise en exergue des compétences cachées comme la maîtrise des outils de communication digitale et le travail en communauté distancielle issue du jeu, du développement informatique et des groupes de discussions instantanées.
Pour cette génération, à qui on répète en boucle que la planète va mal, la projection dans le futur est à beaucoup plus à court terme et donc dans des projets qui doivent aboutir rapidement. Certains attribuent à ces jeunes le qualificatif de « Génération zapping » alors qu’en réalité, ils s’inscrivent simplement dans l’instant et le besoin d’être en phase avec leurs attentes. La bonne nouvelle est que cela s’accompagne, pour eux, de la nécessité de mieux développer leurs compétences pour aller plus vite dans leurs trajectoires.
Du coup, l’entreprise est, beaucoup plus vue comme un lieu de passage et de collaboration temporaire que comme une structure où ils vont construire leur avenir. Cette distanciation amène aussi à avoir un autre rapport à la hiérarchie.
Contrairement à ce qu’on peut croire parfois, il n’y a pas réellement de refus de l’autorité mais uniquement de l’autoritarisme et de l’illégitimité.
Le « chef » n’a plus sa place et l’encadrement doit savoir donner du sens au travail, faire respecter l’équité et accepter la vision, parfois individualiste, de chacun tout en pilotant une organisation basée sur des performances acceptées.
D’ailleurs, là encore, la crise de la COVID a mis en difficulté certains managers qui, ne pouvant plus exister à travers les ordres et le contrôle, ont été vus comme inutiles voire bloquant pour la continuité de la production puisque incapables d’organiser le travail et de jouer un rôle de régulation et de soutien.
L’enjeu de la mobilité
Si le thème était encore émergeant il y a vingt ans, les crises successives, les enjeux économiques et la mondialisation l’ont rendu prégnant. Dès la fin des années quatre-vingt-dix on nous disait qu’un salarié devait être mobile. Mais c’était une utopie d’imaginer que chacun serait prêt à quitter son territoire, ses habitudes, son tissu relationnel, du jour au lendemain pour trouver un emploi. En réalité l’enjeu est ailleurs et surtout, pour l’entreprise, dans le management de ses compétences en le déclinant dans un esprit sociétal et citoyen pour organiser la mobilité territoriale dans une proximité acceptable.
La stratégie du dirigeant doit donc intégrer trois dimensions avec une anticipation suffisante : faire venir, faire rester et faire partir.
« Faire venir » est de plus en plus compliqué car comme indiqué précédemment, l’entreprise doit rencontrer les attentes de ses futurs collaborateurs. Sa capacité à développer son image autour de ses valeurs sociétales, de sa stratégie de management des relations humaines ou encore de la qualité de vie au travail peut avoir plus d’influence que le montant du salaire. Attirer les compétences suppose de donner envie et, bien entendu, plus l’entreprise assume son rôle d’accueil et d’accompagnement des jeunes plus celle-ci aura des chances de recruter des talents et ce même si ce n’est pas ceux qu’elle forme (les réseaux sociaux feront vite savoir tout l’intérêt à rejoindre ses équipes).
« Faire rester » nécessite une véritable politique de gestion des parcours. Il faut faire matcher les projets de l’entreprise avec ceux de ses collaborateurs. Il faut donc savoir identifier où sont les potentiels, favoriser des parcours internes et mettre en place une nouvelle politique de reconnaissance sociale. Il faudra rapidement songer à modifier l’attachement de la rémunération au niveau d’un titre ou d’un échelon hiérarchique pour passer à un modèle capable de récompenser la compétence dans les expertises nécessaires à l’entreprise ; et ce dans une vision à 360° où être manager n’est que l’un des axes de développement.
« Faire partir » devient tout aussi stratégique. Il n’est plus possible de promettre une évolution verticale et même en travaillant sur un système à 360° il ne sera pas possible d’offrir systématiquement des opportunités à tous les collaborateurs. Le risque pour l’entreprise est de ne pas avoir le courage d’organiser ce turn-over nécessaire et de générer des frustrations qui deviennent insurmontables.
L’objectif est de mettre en place une organisation qui permet d’accompagner le projet de l’individu dans ou en dehors de l’entreprise en lui donnant les moyens de le réaliser. Cela suppose une bonne planification des parcours professionnels.
Si beaucoup appellent cela de la « Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences », de notre côté, nous préférons donner à l’acronyme une signification plus réaliste qui est la Gestion Prospective des Exigences en Compétences. En effet, le management des compétences, dans un environnement qui nécessite de la réactivité, ne permet pas de modéliser réellement les emplois et les compétences de demain. Il doit se faire dans une vision de scénarisation où les signaux faibles de l’environnement permettent de piloter l’ajustement des besoins en compétences qui ne se situent plus au niveau des métiers, mais bien à celui des expertises.
Il faut nécessairement lier étroitement le management des compétences à la stratégie de l’entreprise mais aussi, et c’est une dimension qui s’est largement renforcée, au projet de chaque individu. Pour ce faire, l’entreprise dispose d’un outil extraordinaire que sont les entretiens professionnels à condition de ne pas les voir comme une obligation administrative. Pour nous, deux règles fondamentales sont à respecter : 100 % des collaborateurs doivent développer un projet personnel (progresser, changer de rôle, partir…) et les entretiens doivent être conduits par des référents qui ne peuvent être des N+1. L’organisation peut ainsi disposer d’un excellent outillage de pilotage pour pouvoir anticiper et accompagner chaque collaborateur d’autant que la notion de co-investissement s’ancre de plus en plus avec le « Compte Personnel de Formation ».
Le renforcement de compétences clés
L’entreprise peut tirer profit du modèle de management des compétences en intégrant les éléments évoqués précédemment. Le futur s’organise dans de nouvelles modalités de travail qui peuvent décupler ses capacités de performance à la condition de savoir les organiser et utiliser les compétences clés dont les nouvelles générations sont porteuses.
La digitalisation ayant pris le dessus ces derniers mois a démontré que la compétence n’était plus forcément enfermée dans les 4 murs de l’entreprise. Cela ouvre la porte à des modèles beaucoup plus collaboratifs où non seulement ont fait tomber les barrières inter départements mais aussi les frontières avec les fournisseurs et même les entreprises plus ou moins concurrentes.
Les compétences clés doivent se renforcer sur trois axes : « le management en modèle servant leader » (nouvelle version), « le lead de communautés » et leur pilotage, « le pilotage des projets par les résultats ».
Le manager servant leader n’a pas d’objectifs de production. Ce sont les équipes qui les portent et son rôle est donc le succès de chaque collaborateur, ce qui peut conduire à indexer sa rémunération sur son management des compétences. Il s’assure que chacun dispose des ressources nécessaires pour développer la meilleure qualité possible dans ses activités. Il met en place des parcours d’accompagnement, de tutorat et de coaching pour favoriser le développement des performances. Il joue un rôle de remédiation au sein de ses équipes mais aussi dans le cadre des interactions avec les différentes communautés.
Le lead de communauté est un nouveau rôle qui apparaît depuis peu. Contrairement au chef de projet, il n’est pas nécessairement un spécialiste du sujet. Il est par contre reconnu dans sa capacité à piloter le travail en équipe et il dispose d’une autorité suffisante pour avoir une délégation totale pour organiser le travail sans avoir à référer à d’autres instances hiérarchiques. Cela permet de mobiliser des collaborateurs venant de tous horizons, internes ou externes et de manager la communauté comme une petite entreprise.
Le pilotage des projets par les résultats est une approche légèrement différente du projet classique. Il se fait dans le cadre d’une communauté et se contractualise avec les différents acteurs sur des résultats attendus laissant donc une plus grande autonomie dans la façon de les produire. Il va ensuite travailler avec le lead de communauté pour organiser le projet en intégrant la dimension distancielle et en modélisant le suivi à partir des temps moyens de production.
Ces nouvelles compétences cadrent particulièrement bien avec les profils des nouveaux entrants. Ce modèle répond beaucoup plus à leurs aspirations et ils apportent déjà une véritable expérience de par leur vécu avec les outils numériques et leur maîtrise du digital dans la chaîne de valeur.
L’entreprise décloisonnée
L’entreprise se réinvente à travers ce management des compétences. Dans les dernières années on a beaucoup parlé de l’entreprise libérée, du bien-être au travail, des organisations agiles… les idées sont bonnes, mais nous ne sommes pas fans de leurs débordements comme l’ « happiness manager » ou la suppression du système hiérarchique qui cache parfois l’incapacité de l’entreprise à donner de bonnes conditions de travail à ses collaborateurs. Nous ne sommes pas encore dans le monde des bisounours et pour nous, tout en respectant ces concepts, il nous semble important de fournir un cadre d’excellence et un véritable management à la hauteur des ambitions de l’entreprise. Pour ce faire, il faut d’abord rendre lisible l’organisation pour, en particulier, faciliter la collaboration. Il faut permettre à chacun d’être acteur de son environnement et faciliter les interactions entre tous sans frontières (il est régulier de constater que dans bon nombre d’entreprises, les collaborateurs ne savent pas ce que font leurs collègues). Ensuite il faut avoir une véritable politique sociale pour transformer ce qui peut sembler être un coût en véritable moteur économique. Et enfin, il faut développer une plus grande dimension de réseau sur les territoires pour augmenter les capacités d’innovation, la mobilité dans l’emploi et les performances économiques.
Dans ces conditions, l’entreprise n’envisage plus le management des compétences comme un « plan de formation » mais comme un outil beaucoup plus large intégrant globalement toutes les compétences qu’elle peut mobiliser à l’intérieur et autour d’elle.
L’entreprise de demain sera décloisonnée !
Hubert GRANDJEAN, Président de l’AFDEC, Vice-Président d’ADevComp